Parcours 1964 - 2004

2004 — Maison de la Culture — Bourges (F) Text in English

 

Au milieu des années soixante, Claude Pasquer, qui vit alors à Paris, fréquente la librairie La Hune. C’est là qu’il découvre l’art construit, et éprouve une fascination pour l’école d’Ulm, et en particulier pour l’œuvre de Max Bill.
L’artiste suisse, qui fut le directeur de la Hochschule fûr Gelstaltung, avait en 1949 publié un ouvrage intitulé : La pensée mathématique chez l’artiste de notre temps. Prônant la substitution de l’imagination de l’artiste par la conception mathématique.
Fondamentalement, c’était une conception de l’art qui prenait position contre le fétichisme de la peinture gestuelle et l’expressionnisme de l’abstraction lyrique qui devait tenir le haut du pavé pendant toutes les années cinquante.

Avec la précision inhérente à une telle démarche, Claude Pasquer va se consacrer au développement d’une œuvre qui se fonde, à la suite des grands artistes modernistes du mouvement De Stijl (Mondrian, Rietveld, Vantongerloo, Van Doesburg), et dans le sillage des concrets Allemands et Suisses, (Bill, Greaeser, Lhose), sur des notions d’ordre, de géométrie, d’exhaustivité.

Les premières années de son activité, pour gagner sa vie, il oriente une partie de sa recherche vers des créations ludiques qui – sans déroger aux règles qu’il s’est fixées — trouvent leur application dans des modèles pour papiers ou tissus imprimés, l’édition de jeux en bois pour enfants et de livres de pliages.
Il participe également au Groupe Madi (MAtérialisme DIalectique), exporté d’Amérique du sud par Carmelo Arden Quin.
De cette période datent ses reliefs colorés sous verre cannelé qui témoignent de son intérêt pour les expériences optiques auxquelles se livre une partie des artistes de l’abstraction géométrique.
S’en tenant strictement à des formes géométriques, il limite très tôt sa palette au noir et blanc et aux trois couleurs fondamentales, jaune, rouge et bleu, les couleurs des trois fameux monochromes de 1921, par lesquels Rodchenko proclamait la fin de la peinture.
Il travaille simultanément à des suites de dessins, de peintures sur papier ou sur toile, et de reliefs en bois et de peintures où se tissent et alternent ces trois couleurs.

Nommé professeur à l’École nationale des Beaux Arts de Bourges, où il enseignera jusqu’en 1999, il se consacre à une pratique picturale de plus en plus minimale.
Chacune de ses séries est calculée à partir du principe de la permutation et leur exécution obéit rigoureusement au plan ainsi établi. Le dessin joue un rôle essentiel : tantôt sous forme de croquis ou de chartes, il établit les différentes combinaisons de modules.   Sur papier ou carton, à l’encre où à la gouache, faisant parfois intervenir le collage, il devient œuvre à part entière à laquelle finesse et précision d’exécution confèrent une qualité plastique exceptionnelle.

Dans la stricte logique de l’effacement du geste, la peinture de Claude Pasquer  est passée au rouleau de façon à éliminer tout effet subjectif de touche. Les formes sont géométriques et les surfaces traitées en aplats. La totalité de la surface du tableau est prise en compte. Les plans, parfois noir et blanc, le plus souvent colorés se déplacent sans jamais laisser de vide. La conception du tableau comme un ensemble de châssis indépendants — traités comme autant de modules — permet de poursuivre la composition de façon complexe en reportant la permutation sur la fragmentation du tableau en polyptyque.
Si les modules sont en continuelle recomposition, les séries projettent toujours de nouvelles combinaisons plastiques. Par conséquent, l’œuvre engendre sa propre dynamique. Elle est en perpétuel devenir. Qu’importe alors si, de toutes les séries pensées, préméditées, calculées, dessinées et répertoriées, seuls quelques figures ou agencements de figures trouvent l’opportunité d’être mises en œuvre. Le visiteur qui entre en contact avec elle comprend très vite qu’il entre dans un jeu qui sollicite à la fois le regard et l’esprit.
Ainsi se développe une esthétique de la satisfaction logique, dans laquelle l’affect et le sensible sont indexés sur la complexité de la pensée et sur une absolue simplicité de la facture. La perfection picturale s’adresse ici simultanément à l’esprit et au sensoriel. 

À partir de 1989, Claude Pasquer va s’employer à recouvrir ses permutations colorées d’une couche de peinture noir opaque et dense qui occulte totalement la couleur sur la face de ses tableaux ou de ses éléments de tableaux.
À première vue, l’œuvre revêt alors l’aspect d’une simple combinaison de monochromes noirs. Mais la technique de l’aplat neutre permet de laisser pressentir, par le relief, la présence de couches enfouies et de ce fait, de deviner le glissement des couleurs dont ne subsistent que des indices périphériques. 
Le jeu est désormais masqué sous l’évidence d’une réalité physique opaque et frontale.
La couleur n’apparaît plus que comme un souvenir, dans l’interstice, et paradoxalement, sa présence n’en est que plus sensible. Oblitération symbolique éloquente, le noir absorbe toutes les couleurs. Le tableau se charge d’une retenue intérieure, de l’intensité d’une lumière ensevelie.

L’œuvre de Claude Pasquer fait l’objet de nombreuses expositions en Suisse et en Allemagne où il est reconnu comme un des  artistes français représentatifs de l’art construit.

L’exposition qui lui est consacrée à la Maison de la Culture de Bourges, tout en témoignant de l’ensemble de son parcours, présente une création nouvelle d’envergure : une suite de modules qui composent un ensemble pictural de plus de neuf mètres, dont les permutations de couleurs, recouvertes de noir, ne sont plus perceptibles que par ce qu’on peut en apercevoir sur le champ des châssis et par l’étroite émanation colorée qu’elles laissent vibrer sur le blanc du mur. Cette œuvre s’intitule significativement : Silence.



Hubert Besacier


 

 

 

 

 


Claude Pasquer

Career 1964 - 2004

2004 — Maison de la Culture — Bourges (F)

 

In the middle of the 1960’s, Claude Pasquer, who was living at Paris at the time, often went to the La Hune bookshop, where he discovered constructivism and developed a fascination for the Ulm school and in particular, the work of Max Bill.
Bill, the Swiss artist, who was the director of the Hochschule for Gelstaltung, had published La pensée mathématique chez l’artiste de notre temps in 1949, advocating the substitution of the artist’s imagination with mathematical conception.  Fundamentally, it was a conception of art that took a position against the fetishism of gestural painting and the expressionism of lyrical abstraction which was to dominate throughout the 1950’s.

With the precision inherent to such an approach, Claude Pasquer dedicated himself to the development of work founded in the footsteps of the great modernist artists of the De Stijl movement (Mondrian, Rietveld, Vantongerloo, Van Doesburg), and in the wake of German and Swiss concrete artists (Bill, Greaeser, Lhose), on the notions of order, geometry and exhaustiveness.

During the first few years of his artistic activity, in order to earn a living, he oriented part of his activity toward playful creations which – without departing from the rules he had set for himself – took the form of models for printed paper or fabric and the making of wooden toys and paper-folding books for children.  He also participated in the Madi Group (MAtérialisme DIalectique), exported from South America by Carmelo Arden Quin.  His colorful reliefs under fluted glass were made during this period and they show his interest in the optical experiments to which some of the geometric abstraction artists devoted themselves.  Keeping himself strictly limited to geometric forms, he very early on reduced his palette to black and white and the three primary colours: yellow, red and blue, the colours used in the three famous monochromes dating from 1921, with which Rodchenko proclaimed the end of painting.  He worked simultaneously at some series of drawings, paintings on paper and canvas, wood reliefs and paintings in which these three colours are woven and alternated. 
As a professor at the Ecole Nationale des Beaux Arts in Bourges, where he taught until 1999, he devoted himself to an increasingly minimal pictorial practice.  Each of his series is calculated using the principles of permutation and their execution rigorously follows the plan thus determined.  Drawing plays an essential role in his work: whether in the form of sketches or plans, he establishes the different combinations of modules.  On paper or cardboard, in ink or gouache, sometimes bringing collage into the mix, his drawings have become works in their own right to which finesse and precision of execution have conferred exceptional optical quality.

Following the strict logic of erasure of gestures, the painter Claude Pasquer has chosen to use rollers in order to eliminate any subjective effects of brushstrokes.  The forms are geometric and the surfaces painted in solid blocks of color.  The whole surface of the painting is taken into account.  The planes - sometimes black and white, more often coloured - move about without ever leaving empty space.  The conception of the painting as an ensemble of independent stretchers – treated as so many modules – enables one to compose in a complex way, by transposing permutation into a fragmentation of the painting into a series of panels. 
Even though the modules are in continuous re-composition, the series always project new visual combinations.  As a result, the work engenders its own dynamic; it is in perpetual becoming.  It doesn’t matter then if, of all the series imagined, premeditated, calculated, designed and indexed, only a few figures or combinations of figures have the opportunity of being implemented.  The visitor who enters into contact with the work understands very quickly that he/she is entering into a game that solicits both eyes and mind. 

In this way, Claude Pasquer has developed an aesthetic of logical satisfaction, in which affect and sensitivity are indexed according to complexity of thought and an absolute simplicity of construction.  Pictorial perfection addresses itself in this case to the mind and the senses simultaneously.
Since 1989, Claude Pasquer has devoted himself to covering his colourful permutations with a dense layer of opaque black paint which totally blocks out the colour on the front of his paintings or panels of a series.  At first glance, the work looks like a simple combination of black monochromes.  But the technique of painting in a neutral block of colour allows us to sense, through the relief, the presence of buried layers, and therefore to make out the shifting colours of which only peripheral signs remain.  The interplay of colours is now masked under the evidence of a physical reality which is opaque and frontal. 

The colour no longer appears as anything more than a memory, in the interstice, and paradoxically, its presence is that much more perceptible.  Eloquent symbolic obliteration, black absorbs all colours.  The painting takes on an interior restraint, the intensity of a shrouded light.

The work of Claude Pasquer has been exhibited on numerous occasions in Switzerland and Germany, where he is recognized as one of the representatives of French constructivism art.  The exhibition which is dedicated to him at the Maison de la Culture de Bourges, while showing works from all periods of his career, presents a creation of new scope: a series of modules that make up a pictorial ensemble measuring more than nine meters, in which the permutations of colours, covered with black, are no longer perceptible except through what one can glimpse on the stretcher frame and through the narrow, coloured emanation that is left vibrating on the white of the wall.  This work is significantly called: Silence.



Hubert Besacier