Silence

2004 — Espace d’Art Contemporain — Demigny (F) Text in English

Oblitérations.

Dès le début de son activité picturale, Claude Pasquer s’est délibérément placé dans la lignée des artistes modernistes de l’art construit. Reprenant à son compte la définition historique d’une peinture dans laquelle les variations qu’autorise la mathématique se substituent à l’imagination de l’artiste, sa position hérite à la fois des mouvements de l’abstraction concrète, ( ordre, géométrie, jeu des permutations, sérialisme), mais aussi des expériences du process art et de l’art conceptuel des années soixante. Selon les dogmes orthodoxes de l’abstraction, toute composition repose sur une logique combinatoire et l’œuvre est exécutée à partir d’un protocole prédéfini.
S’en tenant strictement aux formes géométriques et à la ligne droite, (orthogonales ou diagonales) il limite sa palette au noir et blanc et aux trois couleurs fondamentales jaune, rouge, bleu.
À partir de ces données réduites, il établit des chartes de trames compositionnelles qui constituent une œuvre potentiellement sans limites.
Dans la stricte logique de l’effacement du geste, la peinture de Claude Pasquer est appliquée au rouleau de façon à éliminer tout effet subjectif de touche. Les surfaces sont traitées en aplats. La totalité de la surface du tableau - chants inclus - est prise en compte.
La conception du tableau comme un ensemble de châssis indépendants - considérés comme autant de modules - permet de poursuivre la composition de façon complexe en reportant la permutation sur la fragmentation du tableau en polyptyque. Si les modules sont en continuelle recomposition, les séries projettent toujours de nouvelles combinaisons plastiques. Par conséquent, l’œuvre engendre sa propre dynamique. Elle est en perpétuelle devenir. Qu’importe alors si, de toutes les séries pensées, préméditées, calculées, dessinées et répertoriées, seules quelques figures ou agencements de figures trouvent l’opportunité d’être mises en œuvre. Le visiteur comprend très vite qu’il entre dans un jeu qui sollicite à la fois le regard et l’esprit. Ainsi se développe une esthétique de la satisfaction logique, dans laquelle l’affect et le sensible sont indexés sur la complexité de la pensée et sur une absolue simplicité de la facture. La perfection picturale s’adresse ici simultanément à l’esprit et au sensoriel. Mais le jeu des permutations, si riche soit-il, finit par s’émanciper de ses prémisses historiques et de ses modèles tutélaires.
Une mutation déterminante s’opère dans l’œuvre par le procédé du recouvrement.
Progressivement le jeu combinatoire des couleurs va se voir enfoui sous une couche de peinture noire et dense, appliquée en aplat, ouvrant la voie à une esthétique de l’occulté, de l’entrevue, du deviné, du résiduel.
Dans un premier temps les permutations colorées ne sont que partiellement recouvertes d’un noir intense. C’est la série des Partitions dans laquelle les trois couleurs sont encore présentes en résidus linéaires sur la face du tableau, donnant à lire un rythme coloré qui n’est pas ordonné par l’artiste mais par le protocole qu’il exécute. Ainsi les traits verticaux de trois couleurs apparaissent comme inscrits sur fond noir, alors qu’il s’agit des interstices laissés par le recouvrement.
La pratique du recouvrement va ensuite se radicaliser, occultant toute la face du tableau. Nous sommes passés à la phase des Silence. Oblitération symbolique éloquente, le noir absorbe toutes les couleurs. Le tableau se charge d’une retenue intérieure, de l’intensité d’une lumière ensevelie. À première vue, l’œuvre revêt alors l’aspect d’une simple combinaison de monochromes noirs. Mais la technique de l’aplat neutre permet de laisser pressentir, par le relief, la présence de couches enfouies et de ce fait, deviner le glissement des couleurs dont ne subsistent que les indices périphériques.
Le jeu est désormais masqué sous l’évidence d’une réalité physique opaque et frontale.
Mais surtout, on peut lire encore sur la tranche des tableaux qui reste intacte le système de composition colorée qui a présidé à sa création. Au fur et à mesure qu’il avance dans cette série des Silence, Claude Pasquer va simplifier encore sa pratique : la conception du tableau elle-même s’est modifiée. Chaque œuvre est un ensemble repositionnable, donc recomposable de modules carrés, désormais monochromes, totalement recouverts de noir, et dont seul le chant coloré indique la couleur d’origine. L’œuvre ne repose donc plus que sur l’agencement des modules entre eux et sur ce qu’on peut percevoir de leur chant.
L’espace ménagé entre chaque élément équivaut à l’épaisseur du châssis.
Pourtant et presque paradoxalement, la couleur continue à s’imposer, comme par émanation, comme par résonance, par l’interaction d’un chant sur l’autre et par le reflet vibrant qu’elle diffuse sur la blancheur du mur.



Hubert Besacier  2004

 

 

 

 

 

Claude Pasquer

Silence

2004 — Espace d’Art Contemporain — Demigny (F)

Obliterations

From the start of his pictorial practice, Claude Pasquer has deliberately placed himself in the lineage of the modernist artists of constructed art. Adopting the historical definition of a painting style in which the variations allowed by mathematics replace the imagination of the artist, his position inherits not only the movements of concrete abstraction (order, geometry, the play of permutations, serialism) but also the experiments of process art and the conceptual art of the 1960’s. In keeping with the orthodox dogma of abstraction, all composition depends on a combinatorial logic and the work is executed following a predefined protocol.
Keeping strictly to geometrical forms and straight lines (orthogonal or diagonal) he limits his palette to black and white and to the three primary colors: yellow, red and blue.
From these reduced givens, he establishes plans for compositional frameworks which represent a potentially limitless body of work.
With a strict logic of erasure of gesture, Claude Pasquer’s painting is done with a roller in order to eliminate all subjective brushstroke effects. The surfaces are treated as monochromes. The whole surface of the painting – including the edges – is taken into account.
His conception of paintings as ensembles of independent stretched canvases – to be considered as so many modules – enables him to pursue the composition in a complex way by translating the permutations into the fragmentation of the painting into a polyptich. As the modules are in continual re-composition, the series always promises new visual combinations. As a consequence, the work engenders its own dynamic. It is perpetually in the process of becoming. What does it matter then if of all the series imagined, premeditated, calculated, drawn and listed, only a few figures or combinations of figures have the opportunity to be implemented?  The viewer understands very quickly that he is entering into a game that solicits sight and mind at the same time. In this way, an aesthetic of logical satisfaction is developed in which affect and perception are indexed according to complexity of thought and an absolute simplicity of execution. Pictorial perfection simultaneously addresses itself in this case to the mind and to the senses. But the game of permutations, as rich as it is, emancipates itself from its historical premises and its tutelary models in the end.
A determining mutation functions in the work through a procedure of covering up. Little by little the combinatory play of colours will see itself buried under a layer of dense black paint, applied as a solid region, opening the way to an aesthetic of the occulted, the glimpsed, the imagined, the residual.
At first the colourful permutations are only partially covered with an intense black. In the Partition series, three colours are still present in linear residue on the face of the painting, providing the vision of a colourful rhythm which has not been arranged by the artist but rather by the protocol that he has carried out. Thus, the vertical lines of three colours appear to be drawn on the black background, whereas in fact, they are interstices left in the covering.
The practice of obscuring subsequently becomes radical, blocking out the entire face of the painting, in the Silence phase. Black, this eloquent symbolic obliteration, absorbs all colours. The painting takes on an interior restraint, the intensity of shrouded light. At first glance, the work looks like a simple set of black monochromes. But the technique of painting neutral regions of solid colour enables us to sense, through the relief, the presence of buried layers and because of this, to read the underlying shifting of colours of which only peripheral clues remain.
The game is now masked by the evidence of an opaque and frontal physical reality.
But above all, one can still read, on the still-intact edge of the painting, the system of colour composition which presided over its creation. As he advances into this series of Silence, Claude Pasquer simplifies his practice even more. The conception of the painting itself has been modified. Each work is a set of repositionable and thus recomposable square modules, now monochromatic — totally covered in black — in which the coloured edge alone indicates the original colours. The work thus no longer depends on the arrangement of the modules amongst themselves and on what we can see of its edges.
The space left between each element is the same as the thickness of the stretcher. Still, and almost paradoxically, the colour continues to impose itself as if by emanation or resonance, through the interaction of one edge with another, and through the vibrant reflection that it casts on the whiteness of the wall.



Hubert Besacier