Du noir au blanc,
la couleur en mouvement

 

2012 — La Vitrine — Fribourg (CH) Text in English

 

C’est à l’art concret que les recherches plastiques de Claude Pasquer se réfèrent, depuis longtemps et avec une constance qui n’empêche cependant pas l’innovation.

L’art concret, ou construit, est un art non figuratif empruntant son vocabulaire aux formes géométriques simples et aux couleurs pures, en général primaires et complémentaires, et posées en aplats. En 1930, Théo  van Doesburg, un des membres avec Mondrian du mouvement De Stijl, publie dans l’unique numéro de la Revue de l’Art Concret, un manifeste dans lequel il affirme « que rien n’est plus concret qu’une ligne, une surface, une couleur ».

La volonté d’utiliser des figures géométriques comme unique constituant pictural de l’œuvre, de se référer à des fondements théoriques présidant à toute création, la clarté et la rigueur qui en découlent, trouvent les décennies suivantes un écho particulièrement fécond auprès d’un groupe d’artistes suisses communément connus sous le nom de « konkrete Zürcher », les « concret zurichois » : Camille Graeser, Verena Loewensberg, Richard Paul Lohse et bien sûr Max Bill, dont la célébrité tient entre autres à ses activités de diffusion de l’art concret à travers l’enseignement et l’organisation d’expositions progressistes.

Plus proche de nous dans le temps et autre jalon fondamental de la non-figuration d’ordre constructif, Aurélie Nemours. Si elle radicalise d’une part le vocabulaire de l’art concret en se limitant à l’usage de lignes verticales et horizontales ainsi que, dans une première phase, au noir et au blanc et à leur combinaison, elle développe d’autre part dans ses tableaux les notions de nombre, de série, de rythme, notions mises en perspective avec celle de la variation.

Dans sa réflexion sur la forme et la couleur, Claude Pasquer s’inscrit dans cette tradition, où le geste individuel s’efface au profit d’un système de règles et de combinaisons, où la nature accidentelle de la couleur, propre à l’expression des émotions, fait place à l’usage de couleurs pures, seules composantes substantielles à même de signifier l’abstraction objective. Loin de limiter l’artiste dans son champ plastique, le cadre imposé au niveau de la forme et des couleurs, au nombre restreint, lui laisse au contraire la liberté d’explorer la multitude des combinaisons possibles et les effets rythmiques qui en résultent. Affranchi de la subjectivité, des variations incessantes de l’ego, Claude Pasquer peut prétendre à la dimension spirituelle et universelle de la peinture.

Les tableaux de Claude Pasquer, d’une facture invariablement précise et soignée, sont exécutés à la peinture acrylique sur une toile marouflée sur un châssis de bois. Non seulement la surface totale du tableau est peinte, mais les tranches, c’est-à-dire les bords latéraux du panneau, le sont également et font ainsi partie intégrante de l’œuvre, tant dans le jeu des combinaisons chromatiques que dans sa réalité physique, ajoutant l’effet de la troisième dimension et sa projection dans l’espace.

L’artiste construit son espace pictural selon un réseau de lignes horizontales et verticales, subdivisions soutenues par un schéma numérique préétabli basé sur les principes de la permutation, de la répétition, de la translation. La pensée préside donc à l’exécution, l’œuvre ne saurait être différente de ce qui a été précédemment élaboré, postulat en ce sens fidèle aux principes de l’art concret. Ces différents espaces sont d’abord peints, puis suffisamment recouverts d’une couche de noir, ou de blanc, ou d’une couleur supplémentaire pour que seules restent visibles des traces linéaires marginales, scandant la surface du tableau. Leur présence colorée à intervalles rythmés crée un jeu d’optique où motif et fond tendent à s’inverser. Cet effet d’animation, de va-et-vient, de mouvement, est encore accentué par l’imperceptible présence de la surface occultée, qui modifie la luminosité de la couleur de fond. Ces variations incitent l’œil à accompagner le glissement des couleurs, à suivre leur progression à l’intérieur des limites du tableau, et même au-delà.

Dans les recherches plastiques de Claude Pasquer, le mouvement et la dynamique occupent donc une place privilégiée, préoccupation pertinente au sein de l’art construit. Lorsque l’artiste explore un thème et les combinaisons numériques possibles, il le fait sous forme de séries. L’approche sérielle implique la notion de continuité, de progression, de déroulement. Une série demande à être suivie, à être complétée. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’articulation des œuvres s’accomplisse sous forme de polyptyques, et plus volontiers de triptyques — le nombre trois et ses multiples ont une potentialité particulière pour l’artiste — amenant le spectateur à suivre du regard le passage d’un panneau à l’autre.

Les chants latéraux peints, qui conservent sur toute leur longueur les couleurs témoins du rythme initial, jalonnent ce déplacement. Leur présence est d’abord une invitation à aborder l’ensemble à partir de points de vue différents, latéraux, à opérer un déplacement physique pour apprécier le jeu optique ainsi créé. Ils transforment ensuite l’espace laissé libre entre chaque module en un réceptacle pour les ombres colorées projetées sur le mur. Les bandes de couleurs pures aux contours précis sont ainsi transformées, dédoublées, dotées d’une valeur immatérielle à l’instar de la lumière qui engendrent ces ombres colorées. C’est aussi autour de la lumière et de ses qualités chromatiques que Claude Pasquer mène ses recherches. En juxtaposant des surfaces relativement minces et petites de couleurs pures, il provoque leur assimilation, c’est-à-dire qu’en fusionnant les couleurs se rapprochent et intensifient les vibrations que la matière picturale se doit de susciter.

Mouvement, thème, rythme, variation, progression, autant de termes issus de la sphère musicale que l’on se surprend à utiliser pour décrire les œuvres de Claude Pasquer. Comme un compositeur, il se saisit d’un thème, en explore les variations, méthodiquement. Ses combinaisons numériques construisent la partition, systématiquement. Et de cette rigueur qu’aucune émotion n’entrave naissent l’harmonie et la dimension contemplative. L’œil écoute.



Laurence Fasel

 


From Black to White,
color in movement

 

2012 — La Vitrine — Fribourg (CH)

 


Claude Pasquer’s artistic research has long had concrete art as a reference, and has been constant to it, while nonetheless maintaining innovation.

Concrete or constructivism art is a non-figurative form of art which uses simple, geometrical forms and pure, generally primary and complementary colors, applied in solid blocks. In 1930, Théo van Doesburg, one of the members, along with Mondrian, of the De Stijl movement, published a manifesto in the unique issue of la Revue de l’Art Concret, in which he affirmed that, “Nothing is more concrete than a line, a surface, a color.”

The decision to use geometric figures as the only pictorial elements of a work, to make reference to theoretical foundations ruling all creation, the clarity and rigor which stems from this found, for decades afterward, a particularly fertile resonance amongst a group of Swiss artists, commonly known as “konkrete Zürcher” or the “concrete Zurich artists”: Camille Graeser, Verena Loewensberg, Richard Paul Lohse, and of course, Max Bill, whose celebrity can be attributed to, among other things, his diffusion of concrete art through teaching and his organization of progressive exhibitions.

Another fundamental milestone of constructivist non-figuration, closer to our time, is the work of Aurélie Nemours. On the one hand, she radicalized the vocabulary of concrete art by limiting herself to using vertical and horizontal lines as well as, in an early phase, using only black and white or the combination thereof. On the other hand, she developed ideas in her paintings such as the notions of number, series, and rhythm, which along with that of variation opened up new horizons.

In his reflection on form and color, Claude Pasquer participates in this tradition, wherein the individual gesture steps aside for a system of rules and combinations, and the accidental nature of color, which is associated with the expression of emotions, gives way to the use of pure colors, the only substantial elements able to signify objective abstraction. Far from limiting the artist in his artistic vision, the context imposed with regard to form and color, to finite quantities, gives him the liberty to explore the multitude of possible combinations and the resulting rhythmic effects. Freed from subjectivity and the incessant fluctuations of the ego, Claude Pasquer can approach the spiritual and universal dimensions of painting.

Claude Pasquer’s paintings, invariably carefully and precisely executed, are done in acrylic on backed canvas stretched on a wood frame. Not only is the total surface of the canvas painted, but also the edges, the sides of the painting, making them an integral part of the work, as much in the play of chromatic combinations as in its physical reality, adding a three-dimensional effect and its projection into space.

The artist constructs his pictorial space using a network of horizontal and vertical lines, subdivisions supported by a pre-established numerical pattern based on the principles of permutation, repetition and translation. Thought thus governs execution ; the work cannot be different from what has been developed previously, a postulate faithful in this way to the principles of concrete art. These different spaces are first painted, then sufficiently covered with a layer of black, white, or a supplementary color so that only the marginal linear traces remain visible, stressing the surface of the painting. Their colorful presence at rhythmic intervals creates an optical illusion in which pattern and background tend to change places. This animation effect, the back-and-forth movement, is even more accentuated by the imperceptible presence of the surface which has been covered over, which modifies the luminosity of the background color. These variations prompt the eye to accompany the shifting colors, to follow their progression inside the limits of the painting and even beyond.

In Claude Pasquer’s artistic research, movement and dynamics, important preoccupations of constructivism art, thus occupy a special place. When the artist explores a theme and its possible numerical combinations, he does it in the form of a series. The serial approach implies the notions of continuity, progression, sequence. A series demands to be followed, to be completed. In this context, it is not surprising that the configuration of the works is done in the form of several panels juxtaposed, and more specifically triptychs – the number three and its multiples having particular potential for the artist – inviting the viewer to follow the movement from one panel to the other with the eye.

The lateral painted fields, retaining the colors which are evidence of the initial rhythm along their entire length, mark this movement. Their presence is first an invitation to approach the group of panels from different lateral points of view, to physically move in order to appreciate the optical effects thus created. They then transform the space which has been left free between each module like a receptacle for the colorful shadows projected onto the wall. The bands of pure color with their precise contours are thus transformed, doubled, given an immaterial aspect like that of the light which creates these colorful shadows. It is also around light and its chromatic qualities that Claude Pasquer does his research. By juxtaposing relatively thin and small surfaces of pure color, he provokes their assimilation ; that is to say, that when fusing, the colors get closer together and intensify the vibrations that the pictorial matter gives rise to.
 
Movement, theme, rhythm, variation, progression, so many terms that come from the world of music, that we are surprised to use to describe the works of Claude Pasquer. Like a composer, he takes a theme, explores variations on it, methodically. His numerical combinations build the score, systematically. And from this rigor, unhampered by emotion, is born harmony and a contemplative dimension.



Laurence Fasel